« L’origine de mes vingt quatre paires de chromosomes m’intéresse. Mais surtout, le dépouillement d’un registre présente en lui-même un attrait analogue à celui du miracle de Lazare. L’acte de naissance de ces morts du XVIIIème siècle, qui n’ont même plus de tombe, les restitue partiellement à la vie. Tandis que mon père, avec ce vain instinct de collectionneur qu’il manifestait en toutes choses, accumulait les notes, épinglait les dates, donnait de subtils coups de filet dans le temps et dans l’espace, j’aimais derrière lui m’emparer des registres, choisir un nom (ce nom fourni par le baptême au hasard de la conception), le suivre de page en page. Quelquefois, il s’arrêtait tout de suite, ainsi que beaucoup d’autres rayés par une épidémie. Quelquefois, on le retrouvait sur deux, trois, cinq, dix registres successifs, baptisé, marié, remarié, père de plusieurs enfants, parrain de beaucoup d’autres, témoin de ses amis, enfin « décédé muni des sacrements de notre mère, l sainte Eglise ». La grande histoire peut mépriser ces humbles, en elle anonymes comme sont en nous anonymes les millions de globules de notre sang. Mais ni elle, ni la petite histoire, ni le roman, quelles que soient les précisions et la couleur de son récit, ne peuvent donner ce caractère d’authenticité, ce parfum de fleur desséchée qui a pourtant fleuri. Soit dit en passant, il arrive que des fleurs bi- ou tricentenaires soient collées sur les feuillets des registres, et c’est injustement à Doué la Fontaine que j’ai retrouvé l’acte de naissance d’une certaine Rose-Mariette Rezeau, fille de noble homme Claude Rezeau et de dame Rose Taugourdeau…
« Aucun intérêt, fit mon père. J’ai suivi la piste. Elle est morte à seize ans, l’année du choléra. »
Elle était morte à seize ans, en effet, la petite arrière-grand-tante. Elle était morte voilà deux cent dix-huit ans, mais son acte de naissance était toujours orné d’un pétale de rose, qu’avait collé sa maman, qui ne savait sans doute pas signer et qui pourtant avait su signer mieux que toutes les autres, mieux que Folcoche, certainement, cette spécialiste du cunéiforme, ne l’avait su faire à mon baptême.
Je suis, vous le savez bien, un peu sacrilège. J’emportai le pétale de rose. Aucun amoureux ne l’aurait mieux conservé que moi. »
Vipère au Poing, Hervé Bazin.
« Aucun intérêt, fit mon père. J’ai suivi la piste. Elle est morte à seize ans, l’année du choléra. »
Elle était morte à seize ans, en effet, la petite arrière-grand-tante. Elle était morte voilà deux cent dix-huit ans, mais son acte de naissance était toujours orné d’un pétale de rose, qu’avait collé sa maman, qui ne savait sans doute pas signer et qui pourtant avait su signer mieux que toutes les autres, mieux que Folcoche, certainement, cette spécialiste du cunéiforme, ne l’avait su faire à mon baptême.
Je suis, vous le savez bien, un peu sacrilège. J’emportai le pétale de rose. Aucun amoureux ne l’aurait mieux conservé que moi. »
Vipère au Poing, Hervé Bazin.
Ce week-end, je suis rentrée à Toul. La maison était vide. C’est pas comme si elle avait toujours été pleine de vie ; mais tout de même, l’atmosphère était rendue un peu glauque par la pluie qui s’abattait au travers des barreaux des fenêtres. Je m’attarderai une autre fois sur la valeur symbolique de ces barreaux. Toujours est il que j’avais assez de temps et de solitude devant moi pour me plonger dans le carton de photos familiales*. Je suis passée de l’amertume à l’incompréhension.
Pourquoi l’amertume ? J’ai réalisé qu’au cours de nos nombreux déménagements, on avait perdu l’album contenant mes photos de mes 4 ans jusqu’à mes 11 ans (photos de classe comprises, bien que ce ne soit pas le plus important). Après tout, ce n’est pas grave, ce n’est pas comme si ce genre de souvenirs était irrécupérable.
Pourquoi l’incompréhension ? J’ai pris mon temps et ai ouvert tous les étuis, puis regardé toutes les photos, même les minuscules polaroids des années 70. Sur certaines photos, je ne reconnaissais aucun des visages souriants mais mangés par d’immondes lunettes à monture d’écaille. Mais en me penchant sur les albums, j’ai finalement compris que la jeune fille à l’air un peu godiche était ma mère. Elle avait l’air beaucoup moins fatigué, à l’époque. Puis j’ai enchaîné avec des photos dites « de famille** ». Je dois avouer que j’ai été assez surprise d’y voir des gens heureux. Ma mère et des gestes maternels. Mon père et une barbe encore noire. Mes frères étaient loin du déclenchement des conflits qui les minent encore aujourd’hui. Le plus jeune souriait stupidement pour montrer que ses deux dents du devant étaient tombées alors que l’aîné portait d’authentiques baskets du début des années 90. J’aurais aimé les connaître. On dit qu’on n’a pas de souvenirs avant l’âge de trois-quatre ans. Alors j’ai pris quelques unes des photos.
*Adjectif à utiliser avec précautions.
**Expression adéquate.
Bande Son : Five Years, David Bowie.
4 commentaires:
Il est triste ton post....
C'est clair, que t'arrives-t-il donc ?? La nostalgie te gagne, hein ?
N'empêche, tu m'as bien vu sur les vieilles photos de classe de Pageboy ... j'aurais bien aimé en voir de toi, pourquoi pas !!
Allez, moi qui vient de passer une semaine entière à faire la chouille, ne fait pas descendre ma bonne humeur par une déprime quand même !!! De toute façon, dans 7 jours à cette heure, on aura tous 2 passés un super week-end ... pense à ça, ça te redonnera le sourire ...
Note : chez moi aussi Blogger est passé en anglais ...
Je ne déprime pas, je constate.
C'est bien Vipère au poing et avec Catherine Frot dans le rôle de Folcoche, ça décape !
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